Tout juste lauréat du prestigieux prix 2019 de la Fondation d'Entreprise Ricard, Marcos Avila Forero (1983 franco-colombien) revient à Bruxelles pour sa seconde exposition personnelle à la galerie LMNO.
Le titre de l'exposition Gracias Moleno est une référence à Alfredo de la Cruz Molano Bravo (Bogota, 1944-2019 ) sociologue, journaliste et écrivain colombien décédé le 19 octobre 2019. Il consacra sa vie à l'étude de certains phénomènes sociaux colombiens affectant principalement les paysans. Il se consacra aussi à éclaircir les origines des FARC.
Dans le cadre de cette exposition, Marcos présente une série, inédite en Belgique, intitulée Desde las montañas (Depuis les montagnes). Au centre de ces grands tirages photographiques noirs et blancs posent des couples parfois accompagnés de leur(s) enfant(s), des amis, des compagnons de lutte.
De part et d'autre jaillissent des sources d'embrasements, source unique de lumière permettant de capturer les corps des personnes ici photographiées. La poudre en feu provient de munitions. Ces paysans ne sont visibles que grâce à la combustion de la poudre.
Marcos Avila Forero revisite le portrait. Il offre à ces paysans un portrait troublant mélange de violence et de dignité. Un reflet très exacte de la complexité des événements historiques qui traversent ce pays depuis des décennies.
Chacune des images est accompagnée de douilles ouvertes comme le témoin d'une violence passée mais toujours présente. Les images sont maintenues par des clous affirmant la dimension volatile du support mais aussi de l'existence.
En relation avec cette série, Marcos Avila Forero a fait le choix de montrer une pièce centrale de sa production Tal cual un triofijo. Il s'agit d'un sextuple sténopé.
Il y a 50 ans, dans les montagnes colombiennes, un groupe de fermiers s'organisent et se soulèvent en armes pour se défendre de l'oppression. Ils abandonnent leur condition de fermiers, rentrent dans la clandestinité et deviennent des guérilleros. C'est le début de la seconde guerre civile en Colombie. Une photographie a été prise à l'instant précis où ils ont fait leur première déclaration, non plus en tant que fermiers qui se défendent, mais en tant qu'un groupe insurrectionnel avec un projet politique.
Cette image est gravée dans la mémoire collective, mais le temps l'a décontextualisée de sa réalité politique et les personnages qui la constituent sont tous morts à présent.
Marcos Avila Forero a recomposé la scène de ce document, à échelle réelle, en découpant les différentes profondeurs de plan. L'instant de la photographie se trouve alors complètement théâtralisé. Pour créer cette image, l'artiste fabriqua dans un grand hangar une grande construction, un bloc massif, fait de palettes de transport et sans aucun accès, qui se tient en face de cette scène. C'est une camera obscura, qui prend une photographie de cette scénographie. 50 jours de temps
d'exposition ont été nécessaires pour que l'image s'imprime sur le papier argentique. L'esthétisme de l'image réactive le document historique, la profondeur de champ est perceptible, bien que le découpage soit étrange. Le document semble réel... mais son statut est suspect.
En complément de ces œuvres sont présentés des photographies documentant les voyages de l'artiste, ses rencontres avec des acteurs de terrains, mémoires vivantes des violences subies par les êtres et les paysages de la Colombie. Il s'agit d'images comme autant de prises de notes ou de volontés de garder les traces de ces moments de partage et de rencontre dont l'objectif unique est celui de retrouver une paix durable offrant à chacun la dignité qu'il mérite.
Né en 1983, Marcos Ávila Forero vit et travaille entre Paris et Bogotá.
En 2011, il séjourne en Amazonie avec des membres de la communauté Cocama pour réaliser l'œuvre A Tarapoto - un Manati. Avec cette œuvre, il obtient le Prix Multimédia Des Fondations De Beaux-Arts.
Il se rend en 2012 à la frontière algéro-marocaine et collabore avec des migrants clandestins pour réaliser Cayuco.
En 2013, après avoir reçu le Prix Découverte Du Palais De Tokyo, il part en Colombie où il travaille avec des populations déplacées par le conflit armé dans un bidonville nommé Suratoque. Il réalise alors une œuvre et une exposition éponyme au Palais de Tokyo.
Il recevra en 2014 le Prix Loop Awards. Son œuvre Atrato, réalisée dans l'un des épicentres du conflit armé colombien, est exposée à la 57ème Biennale de Venise.
En 2015, il crée Estenopeicas Rurales avec une organisation de paysans victimes de génocide politique.
En 2016, il parvient à rejoindre un campement de la guérilla des FARC et réalise l'œuvre Desde Las Montañas. Après trois ans d'entretiens avec plus de trente organisations sociales dans tout le territoire Colombien, en 2018 il réalise La Lumière des Balles - l'Obscurité de l'oubli, un documentaire sur le conflit armé et la construction de paix. Au même moment, il participe à des expositions collectives - Musée de l'Immigration, Les Abattoirs, Museo Nazionale di Torino, Museo de la Republica de Colombia - et d'autres personnelles - Le Grand Café - centre d'art contemporain, Pori Art Museum, Kyoto Art Center.
En 2019 il est lauréat du Prix Ricard et devient vice-président de l'organisation Citoyennetés Pour La Paix.