Marcos Avila Forero
- PALENQUEROS -
Cinq tambours transformés par leur interprétation en un voyage
Un groupe d'artisans, détenteurs de certains savoir-faire traditionnels de la région de Dordogne en France, ont été réunis dans l'objectif de réinterpréter la fabrication d'un ensemble de cinq tambours de la culture Palenque, communauté issue, à l'époque coloniale, des territoires rebelles bâtis en Amérique Latine par des fugitifs noirs. Les instruments originaux de Palenque eux-mêmes, sont déjà à la basse, une adaptation des tambours Bantou d'Afrique. Donc, en faisant voyager cet objet pour être réinterprété, cette pièce ne fait que reproduire un protocole déjà existant, en obéissant la continuité d'une logique cartographique lié à l'historique de l'objet.
Par sa position géographique, la Dordogne était l'une des principales sources de ravitaillement en matières premières pour les galions de l'époque coloniale (Bordeaux était le plus important port de traite négrière en France au XVIIIe siècle). Cet aspect a été le point de départ du projet.
Ces nouveaux tambours vont ensuite voyager, en reprenant cette cartographie triangulaire, pour être joués par des musiciens Bantous, qui vont devoir accommoder leurs rythmes et réinterpréter les codes de la musique de Palenque.
Le but est d'envisager l'oeuvre sous différents angles, incorporant au système d'exposition dans des lieux dédiés à l'art contemporain, des cycles de concerts dans d'autres lieux non conventionnels, et aux contextes bien spécifiques ( tels que le Palenque de San Basilio), ainsi qu'en échafaudant ces évènements en collaboration (et avec la participation active) de certains spécialistes sur le sujet.
En ce sens, dévoiler cette oeuvre sous ces différents contextes, permet de la faire exister sous différents angles (Envisagée autant en tant qu'oeuvre, instrument et en tant qu'étude).
Participé aux recherches et à la fabrication :
Les artisans de la Maroquinerie Nontronnaise, les cordeliers de Varaigne, le mérandier Marcel Camus, les tanneurs de Bodin-Joyeux, l'ébéniste Jean Christophe Dubuisson, le coutelier Sébastien de LaVille, le luthier Philippe Mousnier.
Aide sur place :
Le Pôle expérimental des métiers d'art de Nontron et du Périgord Vert, le Centre Permanent d'Initiatives pour l'Environnement, la Maroquinerie Nontronnaise, Laure Dangla du Parc naturel régional Périgord-Limousin.
Soutien à la production : Fondation d'Entreprise Hermès.
Les Tambours Palenqueros
Ainsi sont nés les tambours Palenqueros : des objets qui se sont vus transformés par le voyage de leurs propriétaires : Des savoirs perpétués d'Afrique Subsaharienne, se mélangeant avec les acquis du nouveaux continent, des musiciens modifiant leurs techniques, pour s'adapter aux moyens et aux matières qu'ils ont trouvé sur place.
Il faut s'imaginer, ou considérer, qu'à la base ces tambours étaient utilisés comme des haut-parleurs porteurs d'une rébellion. Un outil avec un langage codifié complexe, qui a d'abord assuré, puis servi à la revendication de l'existence culturelle et politique. Cet objet pouvait avertir des approches ou des attaques des colons. Puis aussi un élément de transmission des savoirs, à travers des danses sacrées ou des rituels mortuaires.
Chaque élément de la fabrication de ces nouveaux tambours fabriqués en Dordogne, devenait aussi un écho à l'histoire de ce commerce triangulaire:- Des tanneurs ont travaillé les peaux qui servent de membrane pour l'instrument, elles ont été réalisées avec la technique du cuir en parchemin, utilisée à l'époque coloniale pour dessiner les cartographies. Sur ces peaux en parchemin est retranscrite l'histoire des « Palenques ».
- Les cordeliers ont fabriqué, à la main, les cordages pour tendre l'instrument. De la même manière que les cordages pour les voiles des embarcations, qui ne devaient pas moisir, ces cordages sont faits en chanvre.
- Comme les barriques qui servaient à transporter le rhum produit par les esclaves, le corps de chaque tambour est en châtaignier. Un mérandier a choisi et travaillé le bois qui a servi à les construire.
Pour reproduire complétement le mécanisme, j'ai demandé aux artisans, non seulement de se servir de ces matières et de leurs savoir-faire, mais aussi de faire appel, de s'imprégner au moment de construire les tambours, de leurs propre histoire et de celle de leur région. En conséquence et par une initiative commune, nous avons aussi visité certains lieux tels que les Grottes de Lascaux.
Les Musiciens
Rencontre entre des instruments et des musiciens, qui vont apprendre à jouer les rythmes d'une culture qui leur appartient, malgré qu'elle leur soit complètement méconnue, car bien qu'éloigné par de milliers de kilomètres, et des siècles d'histoire, elle est pourtant issue de leurs ancêtres. Par l'usage même, les dessins des tambours vont doucement disparaître, passant peu à peu, de la peau du tambour, à la peau des mains des musiciens.
Je souhaite réaliser la rencontre entre ces musiciens bantous, avec des personnalités de la culture palenque, tels que la famille Batata ou Don Justo Valdez, Musiciens vivant au Palenque Sans Basilio.
Les Palenques
De manière générale, les « palenques » désignent, en Amérique Latine, les communautés issues de fugitifs noirs, qui à l'époque coloniale s'échappaient des ports de débarquement, des haciendas, des mines, des maisons de servitude domestique ou des galères de travail forcé. Ce sont des territoires rebelles bâtis par des groupes d'anciens esclaves. Ces communautés ont pu développer leur propre dialecte « el palenquero », qui est un mélange de langues vernaculaires : Durant des siècles, et dans l'urgence, ils ont adapté les savoirs perpétués d'Afrique aux coutumes dominantes. Leur propre culture subsistant, sous des modes de guérilla, dans un contexte qui leur était très hostile.